Je ne sais pas quand est née ma peur du vide. Le jour où j’en ai pris conscience probablement. Suffit-il dès lors de ne pas y penser pour éviter qu’elle apparaisse ? En me rendant au Lac de Robertville quelque chose me disait que j’allais vite le savoir. Et sous les yeux du public avec ça : « Papa, papa on retourne là où t’osais pas sauter ?? », qui est vite devenu « tu crois que tu vas le faire cette fois-ci ? ». Comment pouvais-je en effet leur dire non. L’endroit est magnifique, l’eau est bonne et les pédalos – ces cuistax des mers – ont ceci de magique qu’ils sont indémodables sans jamais sembler être en vogue.
Bref, nous voilà arrivés. Première impression : il est 10 heures 30, la météo est top et nous pouvons nous installer quasiment où nous le souhaitons. Du haut de son statut de cadette, Cléo veut décider de l’endroit où nous étalerons nos essuies. Plus sûrement encore prend-elle les devants parce qu’elle aime qu’on fasse les choses comme elle l’entend. Elle a son petit caractère.
Au bout d’une minute elle opte, nous acquiesçons. D’un coin de l’œil je vérifie presqu’inconsciemment qu’il est là. Et il est toujours bien là. Peut-être même me reconnaît-il et me nargue-t-il déjà. On a pris le frigo box, quelques boissons et des tartines mais ils vendent aussi à boire sur place. Émy veut un coca, je lui réponds qu’elle ferait mieux d’aller nager. Il y a un an, elle et sa sœur ont passé plus de temps à faire le poirier contre un mur qu’à réellement profiter du lac. Elle aura bientôt 10 ans, on change fort à cet âge et je ne pourrais jurer la forme que prendra son violon d’Ingres aujourd’hui.
À moins qu’il ne prenne celle… d’un crocodile gonflable. « Allez papa ! » me soufflent-elles. Je m’exécute. Il n’y a pas que lui que ça gonfle mais que ne ferait-on pas pour ses enfants. Mon crocodile à moi tient dans un livre et je sais qu’il me sera plus facile d’y plonger que depuis un certain endroit du lac. Voilà les filles qui partent vers l’eau. Contrairement à la mer, je ne crains pas ici que le vent et les vagues emportent jeu de plage et enfants. Je me tourne vers ma compagne, on se dit qu’on est drôlement bien.
Un peu plus tard, Émy me sort de ma transe. Après avoir nagé, je m’étais séché au soleil mon bouquin entre les mains. En vacances c’est le rituel que je préfère : nager, bronzer, lire. Et de loin. Je pourrais le jouer à l’infini. S’il me fallait choisir un mouvement perpétuel peut-être même choisirais-je celui-là, avec le bon vieux « bière – cacahuètes » évidemment. Sur ce point Jean-Claude a raison.
Ce soudain retour à la réalité me rappelle que j’ai un compte à régler avec ma phobie avant la fin de la journée. Je botte en touche : « Et si on faisait une balade en pédalo ? ». La proposition ne souffre aucune contestation et provoque même un grand enthousiasme. Je diffère lâchement mon rendez-vous avec le destin mais nul ne semble relever la chose. Les papas ne sont pas toujours des héros, surtout lorsqu’ils sont en congé. La manœuvre passe tellement crème que ça me fait penser à en remettre sur les épaules d’Émy, entre autres choses elle a la peau de sa mère.
Le pédalo, ce plaisir oublié
La suite est un moment de pur partage dans un contexte si atypique qu’il en deviendrait surréaliste. Mais j’adore ! Quoiqu’on pense du pédalo, cela dépayse et permet de voyager. Vraiment. Et ces instants vécus pleinement avec ses enfants, à plaisanter, à rire sont de l’or en barre. Nous nous amusons et les contraintes du quotidien disparaissent au fur et à mesure que nous nous éloignons de la rive.
Après une demi-heure environ, nous décidons de rentrer au port et je suis soudainement pris d’angoisse. Sans que je ne puisse le masquer, chaque coup de pédale me rapproche un peu plus de l’inéluctable. C’est Cléo qui le remarque en premier « Papa, tu vas sauter ? ». S’en suit un silence. Je sais que je ne peux pas dire non une deuxième fois. Il y a un an, j’ai gravi prudemment les échelons et me suis risqué au bord du plongeoir, trois mètres au-dessus du vide. Avant de renoncer. Des ados se sont moqués pendant que Cléo me regardait impassible. Elle ne m’a jamais rien dit.
Sitôt accosté je prends la direction de mes peurs. Surtout ne pas réfléchir. Il y a du monde, ce qui ne fait qu’amplifier une certaine impression de claustrophobie. Une crainte à la fois me dis-je. Les gens crient et l’insouciance ambiante ne fait qu’attiser mon stress. Voilà que c’est mon tour. Ça pousse derrière. Cléo a les yeux fixés sur moi, à nouveau. J’appréhende tout : le « haut le cœur », l’impact sur l’eau, la conscience de plonger volontairement vers ce que je redoute… Je ne sais pas, je ne sais plus rien. Quatre, trois, deux… pour Cléo…
À la fin de la journée j’y serai retourné cinq fois. 14 ans dans ma tête et fier. Pas seulement dans les yeux de ma fille. Vers 18 heures on décide de tout remballer. On n’a pas profité d’un barbecue au milieu du lac. Un groupe ne s’est pas gêné et ils avaient l’air de bien s’amuser. Une prochaine fois peut-être.
Quand on n’est pas pressé de faire quelque chose on dit qu’il n’y a pas le feu au lac. Une drôle d’expression qui n’a pas lieu d’être ici. Comme si elle lisait dans mes pensées, Émy me demande quand on reviendra. « Vite ma puce, très vite ».
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Lac de Robertville - Office du Tourisme de Robertville
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Je ne sais pas quand est née ma peur du vide. Le jour où j’en ai pris conscience probablement. Suffit-il dès lors de ne pas y penser pour éviter qu’elle apparaisse ?